Congrès addictologie et travail

congres-addictologieLes 7 et 8 avril 2014, le 1er congrès « addictologie et travail » s’est réuni à Montrouge (92) à l’initiative de l’ADDITRA (Addictologie et Travail) et en partenariat avec la MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies). Pour la première fois, 900 personnes, chercheurs en sciences du travail, addictologues, médecins et infirmiers du travail, intervenants en prévention des risques professionnels, associations, syndicats, institutions, salariés, employeurs, DRH et étudiants ont débattu des relations entre consommation de substances psycho actives et travail.On entend par Substances Psycho Actives (SPA) : tabac, alcool, café, médicaments psychotropes (anxiolithyques, hypnotiques, antidépresseurs), analgésiques, cannabis, cocaïne. Dans une société de l’« hyperconsommation » et de l’« hypersollicitation », leurs consommations progressent globalement, notamment dans le monde du travail.
Paradoxalement, il existe peu ou pas de connaissances scientifiques sur les liens entre les usages de SPA et le travail. De même, dans l’entreprise, la prévention est trop souvent réduite à de la prévention tertiaire, au mieux secondaire.

Les enjeux sont les suivants : mise en place d’actions publiques et de véritables politiques de prévention dans les entreprises, basées sur un approfondissement des connaissances scientifiques en la matière. Mais ces actions ne seront possibles que si tous les acteurs de l’entreprise, notamment les directions, acceptent de lever le déni sur les liens indubitables entre usage de SPA et travail.

Une des premières tâches à entreprendre est donc de comprendre les usages des SPA du point de vue de la recherche scientifique, pour ne pas centrer l’approche uniquement sur le profil des consommateurs. Les causes actuellement connues sont certes à trouver du côté des modes de vie des individus mais il convient également d’analyser l’origine professionnelle de ces usages : stress, organisations du travail, habitudes sociales, climat relationnel…

Dans cette optique, un projet de recherche est en cours : il s’agit du programme « PREVDROG-PRO ». Ce programme a entamé des recherches sur les usages de SPA en lien avec le travail. Déjà 66 entretiens individuels et 15 entretiens collectifs, représentant un échantillonnage de différents milieux professionnels, ont permis d’aborder les questions des usages des SPA, du sens du travail, de les relier et de déboucher in fine sur une réalité fonctionnelle et non morale.

Cette première approche permet de s’engager sur la voie de la prévention en entreprise.
On constate actuellement que les directions d’entreprise se contentent d’élaborer des protocoles, de vérifier l’application de la réglementation et de gérer les situations individuelles. Ce faisant, elles ne prennent pas le temps de l’évaluation du travail. Tout au plus des groupes de prévention alcool sont mis en place. Ces derniers, après avoir sensibilisé les personnels sur les conséquences des mésusages des SPA en matière de santé, sur la responsabilité individuelle, bref tout ce qui touche de près ou de loin à la gestion, se trouvent dans une impasse en matière de prévention du risque, car ces actions se trouvent désarticulées du terrain, de la réalité du travail. Les addictions y sont uniquement attribuées au mode de vie de la personne et les liens avec le travail totalement euphémisés. Cela procède d’une conception hygiéniste de la santé au travail qui doit être dénoncée et combattue.

Or, les transformations du travail de ces dernières années avec la montée de la souffrance au travail, révèlent des prescriptions qui sous-estiment le travail réel, les exigences croissantes et la baisse des moyens, qui conduisent les salarié(e)s à simuler leur conformité par rapport aux attendus, à dissimuler la réalité du travail et à consommer des SPA. Ces phénomènes contribuent in fine à favoriser le présentéisme dans l’entreprise et à permettre aux salariés en souffrance ou en difficulté de se maintenir dans l’activité (par exemple : antidépresseurs pour tenir face à la pression des indicateurs, analgésiques pour faire face à la douleur en cas de TMS).

Il se dégage plusieurs voies possibles pour agir vers la prévention :
– reconnaître d’abord que cet usage peut apporter des bénéfices pour la personne : d’un côté productivité, présentéisme et de l’autre plaisir ;
– dépasser les cas individuels : l’individu qui consomme ces substances serait malade, et révèle les coulisses des milieux professionnels. Cela conduit à un clivage au sein des collectifs de travail : le problème c’est l’autre, ce qui préserve une certaine fiction de la maîtrise du travail ;
– ne pas s’enfermer dans une imputation causale alors que l’étiologie est double : à la fois il peut s’agir de problèmes personnels mais également de problèmes liés au travail. Il faut donc toujours retenir les deux comme hypothèse. Il ne faut pas délocaliser l’origine des problèmes hors du travail en ne retenant que la vulnérabilité supposée de certains comme origine unique aux usages de SPA ;
– il faut donc passer de l’évaluation des personnes à l’évaluation du travail, de l’activité. Il s’agit d’ailleurs d’un constat que l’on peut élargir à la santé au travail en général : sur des dossiers tels que RPS, addictions, les acteurs en entreprise perdent de vue le travail, des exigences qu’il opère et donc des conséquences sur les salarié(e)s. Seule une analyse du travail peut conduire à réaliser de la prévention primaire !
– cette analyse du travail permet à la fois de comprendre les phénomènes en jeu mais également d’introduire un débat à partir de données collectives, alors qu’une approche strictement individuelle ne peut le permettre. C’est le rôle primordial du CHSCT qui peut ainsi agir en prévention en déconstruisant des cadres de travail délétères.

Le succès de ce congrès a conduit les organisateurs à programmer d’ores et déjà une deuxième session pour 2016.
Les vidéos sont accessibles sur le site de l’Additra : http://www.additra.fr/crbst_26.html