Les interventions des équipes syndicales ont permis de souligner les difficultés rencontrées face aux nouvelles organisations du travail, comme de proposer des pistes d’action.
Comment informer les salarié-e-s ?
Les réformes de l’organisation du travail se succèdent souvent à un rythme effréné. C’est le principe même de ce type de management que de chercher à « améliorer » l’organisation du travail en continu… et aussi de céder aux effets de mode. On transforme en continu, ce qui éviter de faire passer des projets de réforme devant les instances concernées. Il faut d’abord exiger la transparence sur ce qui est décidé du côté du management, sur la façon dont les salarié-e-s sont évalué-e-s et classé-e-s, ne pas hésiter par exemple à explorer l’intranet de l’entreprise pour détecter et visibiliser les projets en cours, mettre une question à l’ordre du jour du CHSCT pour obtenir des informations. Mais les directions utilisent le plus souvent un langage incompréhensible, qui contribue à donner aux salarié-e-s le sentiment qu’ils ne comprennent plus le sens de leur travail. Des concepts sont utilisés, qui sont difficiles à comprendre, y compris pour l’encadrement qui doit les appliquer.
Les équipes syndicales peuvent avoir l’impression de s’épuiser à anticiper puis à décoder les initiatives démultipliées des directions, pour essayer d’informer les salarié-e-s, dans un langage un tant soit peu intelligible. Comment sensibiliser les salarié-e-s aux dangers des nouvelles organisations du travail, par exemple dans les tracts, brochures… ? Comment ne pas se laisser entraîner par le rythme des réformes ? Il est possible de mettre en évidence justement cette logique d’accélération des transformations et d’usage d’un langage qui vise à tromper les salarié-e-s, notamment par le recours à l’humour, le détournement des formulations en vogue parmi les dirigeants. Il s’agit de démonter ce langage, en s’en moquant, et ainsi en le mettant à distance, quitte à choquer, comme dans ce tract de postiers de Sud-PTT qui affirme : « Nous ne sommes pas des collabos ». Exiger aussi qu’on nous parle normalement, ne pas écouter quand on nous parle avec des termes incompréhensibles, jargonnants, inspirés d’un anglais appauvri.
Comment impliquer les salarié-e-s ?
Le vice du lean management, c’est qu’il fait semblant d’associer les salarié-e-s aux transformations des organisations du travail, en leur demandant d’identifier eux-mêmes les tâches dites « inutiles », les obstacles qui retardent leur travail… Mais ces temps morts et ces gestes « inutiles » sont en fait nécessaires pour souffler, pour laisser des marges de manœuvre aux corps et aux esprits ! Il faut refuser la cogestion et la participation à ce système.
Alors qu’avec le lean management les salarié-e-s sont toujours consulté-e-s en présence de la hiérarchie, contrôlé-e-s par elle, et leur parole absorbée par elle, les équipes syndicales peuvent essayer de multiplier les occasions d’échanges entre salarié-e-s en dehors de la hiérarchie. Pour que le discours syndical ait de l’écho auprès des salarié-e-s et leur permette de s’approprier leurs luttes, il doit s’appuyer sur la parole des salarié-e-s, sur leurs expériences et demandes concrètes. Même chose lorsque les équipes ont recours à un cabinet d’expertise : l’expert ne peut pas tout, et l’expertise n’a de sens que si les salarié-e-s en sont partie prenante et peuvent se la réapproprier ensuite.
Comment articuler l’accompagnement des collègues en difficulté et l’action collective ?
Avec ces nouvelles organisations, les collègues sont de plus en plus susceptibles de craquer. Lorsqu’ils sollicitent l’aide du syndicat, l’enjeu n’est pas simplement d’écouter leur souffrance individuelle et de les accompagner dans leurs démarches, par exemple dans leur défense juridique, mais aussi de leur donner les moyens de lutter en redonnant un sens collectif au problème. Il s’agit de bien comprendre la situation dans laquelle se trouve le ou la salarié-e pour arriver à identifier ce qui, au delà des conflits de personnes favorisés par la pression au travail, pose problème dans l’organisation du travail. Montrer que c’est l’organisation du travail qui est délétère peut permettre d’élaborer des revendications et des stratégies de résistance collectives, de construire à partir des cas individuels des revendications qui puissent fédérer.
L’action juridique peut être utile y compris pour l’action collective, pour attaquer une organisation du travail particulière par exemple, ou pour faire reconnaître des accidents du travail (y compris des chocs émotionnels), toujours qualifiés en maladies. Mais le droit n’est pas la seule piste. À partir des revendications concrètes des salarié-e-s, il est possible de construire des grèves et d’obtenir des améliorations des conditions de travail, et pas simplement de faire appliquer le droit existant.
Utiliser l’outil interpro.
Les nouvelles organisations du travail s’appuient sur des modèles similaires dans les différents secteurs. Échanger au niveau interprofessionnel, c’est se donner les moyens par exemple d’analyser des transformations qui ont déjà été mises en œuvre, et montré leurs conséquences, ailleurs ; de comparer les organisations du travail et les stratégies de résistance. Un exemple : de nombreux syndicalistes ont souligné dans les débats de cette journée la difficulté à mobiliser les collègues plus jeunes, souvent séduits ou passifs devant les nouvelles organisations du travail. Cette situation s’explique certes par l’affaiblissement des solidarités entre travailleurs, dont le syndicat est le lieu par excellence. Mais cela ne vient pas de nulle part.
L’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur ont connu depuis une quinzaine d’années des réformes qui visent justement à préparer les futurs salarié-e-s aux nouvelles formes de management. Les « chartes éthiques du salarié vertueux », les catégories employées par les directions des ressources humaines (flexibilité, adaptabilité, capacité d’auto-critique…) raisonnent selon des termes qu’on impose aussi aux enseignants pour évaluer les élèves. Le comprendre, c’est se donner les moyens de lutter en différents points contre des logiques globales.