Compte pénibilité: l’arnaque se confirme!

La loi issue de la nouvelle contre réforme des retraites prévoit la création au 1er janvier 2015 d’un compte personnel de prévention de la pénibilité pour les salariés du secteur privé exposés  à un ou plusieurs facteurs de pénibilité, au-delà de certains seuils. Les décrets sur les seuils d’exposition, les modalités d’attribution des points doivent normalement être publiés d’ici la fin du 1er semestre 2014.

Le gouvernement a chargé Michel de Virville, ancien DRH de Renault aujourd’hui à la cour des comptes de travailler avec les organisations représentatives sur l’ensemble de ces sujets, seuils et durées d’exposition, modalité d’ouverture et  d’abondement du compte, contrôle  et contentieux. Il a présenté une série de propositions le 27 mars destinées à ouvrir les discussions et il devait rendre ses conclusions le 26 mai. Sous la pression forte du patronat qui refuse depuis le début la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité la remise de ce rapport final qui servira de support à la rédcation des décrets d’application qui doivent pour leur part être publiés à la fin juin 2014 au plus tard.

Pour connaitre notre analyse et nos propositions sur la pénibilité, vous pouvez vous référer à la fiche numéro 11 de la commission santé et conditions de travail : « La pénibilité au travail : quelle compensation et quelle prévention? Le compte pénibilité »

 L’enjeu des seuils et des durées:

Pour chacun des dix facteurs de pénibilité repris par la loi, Michel de Virville a fait des propositions qui associent à la fois des seuils d’exposition et leur temporalité, avec une mesure forfaitaire de l’exposition en moyenne mensuelle.

Le moins que l’on puisse dire est que nous sommes loin du compte dans les propositions qui sont avancées. Par exemple, il est proposé de ne retenir que la tranche de 0 h à 5 h pour le travail de nuit et est écarté la posture debout pour les postures pénibles. Ainsi une caissière de supermarché travaillant jusqu’à minuit debout derrière sa caisse ne pourra pas « bénéficier » de la reconnaissance de la pénibilité. Le poids des marchandises qu’elle aura passé toute la journée devant le lecteur de code barre en les soulevant ne rentrera pas plus en compte, ne serait retenu que les objets d’un poids  supérieur à 15 kg! Et même si l’ensemble de ces seuils étaient adapté à la réalité de la pénibilité de ce métier, il faudrait encore que notre caissière subissent ces facteurs plus de 80 h par mois ce qui exclura les nombreuses salariè-es avec des contrats à mi-temps, en grand nombre dans ce secteur.

Autre inquiétude, en ce qui concerne les expositions aux risques chimiques, ACR, CMR  et poussières, le texte propose d’effectuer des mesures en fonction de la Valeur Limite d’Exposition et en prenant en compte l’utilisation d’un équipement de protection individuel (EPI) via une application du facteur de protection de l’EPI. Comment arriver à effectuer des mesures correctes des expositions sur un épandage de pesticides, par exemple, notamment lorsqu’on sait que chaque pesticide nécessite un EPI spécifique. Là encore la réalité de la pénibilité restera invisible.

Enfin, nouvel avatar de l’inversion des normes, le référentiel national interprofessionnel qui sera défini pour l’appréciation de l’exposition à la pénibilité, sera appliqué via des modes d’emploi définis et développés au niveau des branches et des entreprises. Il est légitime d’avoir les plus grandes inquiétudes sur la manière dont seront conduits ses modes d’emploi.

La bataille qui se joue dans les salons feutrés autour de ces enjeux de seuils concerne la vie de très nombreux salarié-es. Elle mérite un débat public large et nous invitons les organisations syndicales à porter ce sujet dans les échanges avec les travailleurs et travailleuses  et à interpeller le patronat dans toutes les instances. Celui-ci parle d’un choc de complexification alors qu’il s’agit de la vie et de la santé de centaine de milliers de salariè-es.  Si les seuils sont fixés comme le souhaitent les  entreprises, le nombre de départ anticipé pour pénibilité se réduira comme peau de chagrin.

Des instruments de contrôle indépendants

Le ministre du travail vient d’annoncer qu’il va répondre favorablement à la revendication du patronat de « suspendre pendant trois ans » les seuils créant des obligations particulières aux entreprises, comme par exemple la création d’un comité d’entreprise à partir de 50 salariés. Or, sur le sujet de la pénibilité, comme sur bien d’autres sujets, la présence d’institutions représentatives du personnel est indispensable.  Une étude récente de la Dares  souligne d’ailleurs plusieurs points :

  • seulement la moitié des salariè-es sont couverts par des CHSCT (par exemple seulement 27 % dans la construction), l’absence de CHSCT a des conséquences directes sur les mesures de prévention des risques,  sur la mise en place des  fiches de prévention mentionnant les conditions habituelles d’exposition et sur la présence du document unique d’évalution des risques professionnels (DUERP). Pour rependre l’exemple de la construction, seulement 41 % des salariè-es de ce secteur sont couverts par un DUERP. Or, selon les propositions de Michel de Virville, la mise en place du compte individuel pénibilités devra être articulée avec ces documents. Comment faire si ils sont absents et comment les salariè-es pourront-ils intervenir sans instances et, souvent, sans organisations syndicales présentes dans l’entreprise?
  • de la même manière la présence ou l’absence de services de santé au travail a des conséquences directes sur la mise en place de mesure de prévention des risques. Or la situation démographique de la médecine du travail continue de se détériorer alors que dans le même temps les dernières réformes de la médecine du travail ont eue des conséquences négatives sur la présence des médecins du travail au plus proche des situations de travail et a considérablement nuit à leur indépendance. La présence de réel services de santé au travail indépendants est indispensable en matière de prévention et de mesure des situations de pénibilité.

Par ailleurs, la récente contre-réforme de l’inspection du travail va conduire à moins d’indépendance des services de contrôle. On demande aux inspections du travail d’être au service de la compétitivité des entreprises.  Or, dans le projet seuls les services de la CARSAT assureront un contrôle des déclarations des expositions, notamment pour vérifier qu’elles ne sont pas surestimées!  Il risque donc de n’y avoir aucun contrôle réel à l’intérieur des entreprises permettant de protéger les salariè-es.

Ainsi pour une grande partie des travailleurs, aucun instrument de contrôle indépendant ne viendra vérifier qu’ils peuvent bien bénéficier du dispositif « pénibilité ».

La question financière

Dernière mauvaise nouvelle, sauf pour le patronat, le gouvernement envisage de ne pas exiger les trois premières années à partir de 2015 la cotisation générale et de n’appliquer qu’à compter de 2016 la surcotisation liée au degré de pénibilité de chacun des salariè-es mais en en réduisant le montant (0,1 %  au lieu de 0,6 à 1,2 % en 2016 et 2017).  On est quand même bien loin du choc de complexification dénoncé par le patronat. Mais comme la surcotisation sera assise sur les seuils dont nous avons parlé plus haut, on peut les rassurer…

Agir

Il faut agir pour imposer la mise en place des fiches de prévention des expositions, notamment pour les travailleurs les plus précaires. Il faut aussi agir pour peser sur la définition des seuils et des durées d’exposition.

On le voit, il y a urgence pour les équipes syndicales de Solidaires dans les branches où nous sommes implantés à mettre à l’ordre du jour des mobilisations ce dossier crucial pour de nombreux salariés broyés par le travail pénible.