Dans un contexte marqué par un recul sans précédent du droit du travail et alors que le gouvernement se fait le relais zélé des desiderata du patronat (notamment avec l’ANI du 11 janvier 2013), le ministre du travail, Michel Sapin, s’apprête à porter un coup historique à l’indépendance de l’inspection du travail1.
Le projet, dit « Plan Sapin », vise à casser l’organisation actuelle reposant sur les sections d’inspection2 généraliste, territoriale et de proximité.
La section d’inspection est généraliste : Les agents contrôlent l’ensemble des dispositions du code du travail dans l’entreprise mais contrôlent aussi ces dispositions dans leur ensemble. C’est essentiel. Cela signifie veiller tout à la fois à l’application de chacune de ces dispositions, mais également à leur application simultanée et cohérente, en veillant à leurs nécessaires correspondances et incidences entre elles.
La section d’inspection est territoriale : Les agents ont en charge le contrôle et le suivi de toutes les entreprises situées sur un secteur géographique précis, quelles que soient leurs tailles et leurs activités. Ainsi, leur hiérarchie ne peut pas leur retirer un dossier « sensible » ou le contrôle d’une entreprise dont l’employeur se serait plaint. De même la hiérarchie ne peut pas se substituer à eux. Dès lors que l’entreprise est située sur le secteur de contrôle de l’agent, il est celui qui doit procéder aux contrôles.
C’est une mission de service public de proximité : Chaque semaine, les agents de contrôle accueillent, dans leurs permanences, les salarié-es travaillant sur leur secteur de contrôle.
Cette organisation en section territoriale et généraliste garantit l’indépendance des agents de l’inspection du travail (résultant de la convention n°81 de l’Organisation Internationale du Travail) contre les pressions externes et les interventions indues, qu’elles émanent du patronat ou du pouvoir politique.
Cette organisation garantit aussi aux salariés et à leurs représentants l’accès gratuit aux services de renseignements en droit du travail, renseignements donnés par des contrôleurs du travail et l’accès à des agents de contrôle de l’inspection du travail.
Cela sera-t-il encore possible demain ?
Si la réorganisation de Sapin est mise en œuvre, la réponse est non.
Les premiers éléments d’information qui circulent s’inscrivent dans la droite ligne de la reprise en main de l’inspection du travail opérée depuis 10 ans par les gouvernements successifs et une administration centrale technocratique. Alors que le cadre actuel d’organisation de la section d’inspection du travail permet aux agents de contrôle de l’inspection du Travail d’orienter leurs interventions à partir de la demande sociale qu’expriment les salariés et leurs représentants du personnel, le ministère et son administration centrale ambitionnent de casser ce cadre pour le remplacer par un cadre d’intervention qui permette au ministère d’encadrer franchement l’activité de contrôle des agents à des fins d’instrumentalisation et de politiques d’affichage.
Très concrètement, il s’agit de mettre en œuvre des plans d’action décidés au niveau ministériel, de recueillir des données statistiques dans les entreprises en lieu et place d’effectuer des contrôles sur les sujets problématiques et de les remonter de façon chiffrée permettant à son tour au ministère de dire qu’il agit sur telle ou telle sujet sans considération pour la régularisation de la situation par l’employeur ou les suites pénales apportées par la justice sur telle ou telle pratique de délinquance patronale.
Un problème d’heures supplémentaires non payées ? Désolé ce n’est pas dans le plan d’action ! Voyez ça avec les prud’hommes ! Un problème de travail à temps partiel ? Pas de chance, cette année le plan d’action devait vérifier si votre employeur avant bien effectué un bilan comparé sur les inégalités femmes/hommes. Tout est faux mais peu importe, votre employeur nous a bien transmis un bilan…
L’action de l’inspection du travail doit, avant tout, être au service de la défense des droits des salariés dans l’entreprise et doit être guidée par les demandes émanant des salariés et de leurs représentants.
En voulant affaiblir l’inspection du travail, le gouvernement fragilise encore un peu plus les droits des travailleurs et des travailleuses et de leurs représentants.
Suppression du corps des contrôleurs du travail
Dans le même temps, le plan Sapin prévoit, sur une période de 10 ans, la suppression du corps des contrôleurs du travail (composés de 3200 agents), qui, lorsqu’ils sont affectés en section d’inspection sont en charge du contrôle des entreprises de moins de 50 salariés.
Pour cela, le Ministre Sapin prévoit la transformation de 540 postes de contrôleurs du travail en inspecteurs du travail sur 3 ans.
Cette mesure annoncée sans aucune concertation par Sapin ne répond à aucune des revendications portées par les organisations syndicales du ministère, et laisse sur le carreau 85% des contrôleurs du travail.
Ces 85% à qui le Ministre Sapin ne donne aucune information précise quant à leur avenir.
2 La France compte aujourd’hui 780 sections d’inspection du travail qui se composent d’un-e inspecteur-trice du travail et de contrôleurs du travail.