Cancer du bitume, l’employeur jugé responsable
La cour d’appel de Lyon vient de reconnaître la société Eurovia (entreprise du bâtiment) coupable de faute inexcusable, après le décès d’un salarié qui avait travaillé durant plusieurs années à l’épandage de bitume sur les routes. Ce jugement est le résultat d’une longue bataille de la famille du salarié pour faire reconnaître la maladie comme maladie professionnelle et la responsabilité de l’employeur.
Le cancer de la peau dont souffrait le salarié n’entrait dans aucun tableau des maladies professionnelles, mais le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) avait toutefois conclu qu’il existait un lien entre la maladie du salarié et son activité. En mai 2010 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourg en Bresse avait fait le lien entre le cancer de la peau et les fumées toxiques du bitume et reconnu la faute inexcusable de l’employeur. Le CRRMP avait fondé sa décision en s’appuyant sur les conditions de travail et les différents risques auxquels était exposé le salarié. Cette analyse a été contestée par l’employeur pour qui l’intéressé n’avait jamais été exposé aux goudrons … Il est vrai aussi que le tribunal n’avait pas dit précisément si le cancer était lié au bitume ou aux rayons UV.
L’arrêt rendu le 13 novembre 2012 par la Cour d’appel de Lyon établit un lien de causalité entre le cancer de la peau du salarié et son activité professionnelle.
Les juges reconnaissent que la victime était « exposée à l’action conjuguée du soleil et du produit potentiellement dan- gereux, lequel à lui seul imposait des mesures de protection particulière selon les fiches établies par les fournisseurs de tels produits ».
Ils estiment que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat a le caractère de faute inexcusable, l’employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Eurovia devra verser 200 000 euros de dommages et intérêts à la famille de la victime.
Il s’agit là d’une première en France qui va ouvrir vraisemblablement la voie à d’autres contentieux de ce type, même si dans sa décision la cour d’appel a tenu à préciser que « le litige qui lui est soumis n’est pas le procès en général ni du goudron ni du bitume, ni de leurs composants, ni des entreprises de travaux publics en général ». Elle dit également « qu’elle n’a pas à trancher sur les conflits d’experts et sur les risques de cancer pouvant affecter les salariés confrontés à des produits différents ».
La bataille n’est pas terminée il reste à faire inscrire dans le tableau des maladies professionnelles celles liées au bitume, produit non considéré comme cancérigène au niveau européen.
Toutefois et c’est une avancée, le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé en octobre 2011 comme cancérogène possible l’exposition aux bitumes et à leurs fumées pour les travaux routiers.
Infarctus du au stress professionnel, l’employeur jugé responsable
La cour de cassation vient de confirmer la condamnation pour faute inexcusable d’un employeur dont la politique de réduction des coûts avait provoqué la crise cardiaque d’un salarié.
Cet infarctus avait été reconnu comme accident du travail par la caisse primaire d’assurance maladie. Licencié quelque temps après pour inaptitude physique, l’intéressé attaquait son employeur en reconnaissance d’une faute inexcusable pour obtenir des dédommagements complémentaires.
Rappel : la faute inexcusable d’un employeur est caractérisée dès lors qu’il est établi que ce dernier avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. soc., 11 avril 2002, n°00-16.535).
A l’appui de sa demande le salarié a fait valoir (preuves à l’appui) sa surcharge de travail consécutive à la politique de réduction des coûts de la direction qui avait entraîné de nombreux départs non remplacés.
L’employeur quant à lui mettait en avant qu’il n’avait pas conscience du danger pour deux raisons : d’une part le salarié n’avait jamais fait part des problèmes professionnels auxquels il était confronté et d’autre part il avait toujours été déclaré apte à l’issue des visites médicales obligatoires.
La cour de cassation a confirmé l’appréciation de la cour d’appel en estimant que la faute inexcusable est bien établie. Pour caractériser la conscience du danger elle reprend à son compte l’affirmation de la cour d’appel de Paris selon laquelle « un employeur ne peut ignorer ou s’affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et à ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes ».
Les juges ont estimé que l’entreprise ne pouvait ignorer les risques alors que « l’accroissement du travail était patent sur les années précédant l’infarctus » et où « la politique de surcharge, de pressions et d’objectifs inatteignables était confirmée par des attestations ».
C’est ainsi que l’entreprise selon la cour de cassation n’a pas pris « utilement la mesure » des conséquences sur la santé de son objectif de réduction des coûts en manquant ainsi à son obligation de sécurité de résultat, obligation qui consiste à prévenir toute « réaction à la pression ressentie par le salarié ». Les juges ont rejeté les arguments de l’employeur sur l’absence de plainte du salarié en raison de sa position hiérarchique qui ne lui permettait pas une telle expression et qu’en tout état de cause son absence de réaction ne signifiait par pour autant l’approbation de l’attitude des dirigeants de l’entreprise.
Quels enseignements en tirer ?
Cet arrêt pose le principe selon lequel « un employeur ne peut ignorer ou s’affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et à ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes ».
Il confirme également la montée en puissance devant les juridictions de la sécurité sociale de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dès lors que les situations de travail sont génératrices de stress.
Ce que dit également ce nouvel arrêt c’est que les employeurs ont l’obligation de tenir compte des risques psychosociaux dans les choix organisationnels ou commerciaux qu’ils font et que ces risques ne peuvent plus être ignorés des entreprises.
(Cass.Civ2, 8.11.2012, N°11-23855)
Deux jurisprudences importantes qui feront date pour les salariés.