Maladie professionnelle et harcèlement moral

A la suite de conditions de travail particulièrement difficiles (surcharge de travail, rotation des effectifs, autoritarisme, pressions …) une salariée fait une dépression réactionnelle et porte plainte contre son employeur et deux de ses supérieurs hiérarchiques pour harcèlement moral. Elle a déclaré sa maladie comme étant d’origine professionnelle. Après un avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, la caisse primaire d’assurance maladie a décidé de la prendre en charge au titre de la législation professionnelle. Les responsables poursuivis pour harcèlement moral ayant été relaxés, l’employeur a saisi la caisse de sécurité sociale d’un recours en inopposabilité de la prise en charge de la maladie estimant que celle-ci ne peut pas être reconnue puisque le harcèlement moral n’a pas été retenu. La Cour de cassation a rejeté cette demande considérant qu’il avait été établi que la maladie de l’intéressée avait été essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime.
Cass. 2e civ., 9 septembre 2021, 20-17.054

Ordre du jour du CSE : l’employeur doit retranscrire fidèlement les questions des élu·es

Dans cette affaire les membres du CSE ont exprimé leur désaccord sur les modalités de choix des questions à inscrire à l’ordre du jour dès la première réunion du CSE d’établissement: les membres du CSE demandaient la transcription intégrale des questions formulées avec l’identité de l’organisation syndicale qui la portait. L’employeur s’y opposait en faisant valoir qu’il lui revenait d’établir l’ordre du jour conjointement avec le secrétaire du CSE conformément au RI en excluant donc toute automacité de l’inscription des questions. La Cour d’appel a donné raison au CSE en jugeant que les questions adressées par les membres du CSE au secrétaire dans le délai de 14 jours avant la réunion doivent être retranscrites fidèlement sans aucune reformulation sauf si elles relèvent des attributions de la commission en santé, sécurité et conditions de travail.
CA Rennes, 19 novembre 2021, n°21/01236

Faute inexcusable et évaluation des risques

Un salarié gardien d’une déchetterie est renversé par un tractopelle alors qu’il se déplaçait sur le site, l’accident est pris en charge au titre de la législation professionnelle. La victime demande en la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité. La cour d’appel a rejeté sa demande en estimant que la présence d’un tractopelle sur le site était habituelle et inhérente à l’activité quotidienne de la déchetterie et qu’il n’y avait pas de danger particulier. La cour de cassation a invalidé ce jugement considérant les motifs de la Cour d’appel insuffisants à écarter la conscience du danger alors que par ailleurs elle a constaté des manquements de la part de l’employeur : absence de document unique d’évaluation des risques, absence de dispositif de sécurité suffisant dans les voies de circulation et les dégagements destinés aux piétons.
Cass.civ., 12 mars 2020, n°19-10421

Brèves 2021

Les Direccte deviennent des Dreets
Les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) ont regroupé au 1er avril 2021 les missions exercées par les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Direcctes) et les services déconcentrés de la cohésion sociale.
Au niveau départemental les unités départementales de ces 2 directions sont réunies pour former des directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) et des directions départementales de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DEETS-PP) dans les départements les moins peuplés.
Décret du 9 décembre 2020  Continuer la lecture de « Brèves 2021 »

Un médecin condamné pour agressions sexuelles. L’arbre qui cache la forêt

Le 20 octobre 2020, le tribunal correctionnel de Tours condamne un médecin du travail d’Orange à un an de prison avec sursis pour agressions sexuelles et harcèlement sexuel dans l’exercice de sa fonction. Il avait été quelques mois auparavant sanctionné par le Conseil de l’Ordre pour les agressions, puis licencié pour harcèlement sexuel. Continuer la lecture de « Un médecin condamné pour agressions sexuelles. L’arbre qui cache la forêt »

Une loi pour renforcer la prévention en santé au travail ou invisibiliser les risques professionnels ?

À l’origine de la loi du 2 août 2021 censée renforcer la prévention en santé au travail il y a le rapport Lecocq, Dupuis, Forest [1] intitulé « Santé au travail, vers un système simplifié pour une prévention renforcée » rendu fin août 2018 qui a suscité de très nombreux commentaires (se reporter au Bulletin Et Voilà n°63 de février 2019).
Les négociations qui s’en sont suivies ont connu quelques vicissitudes qui ont débouché sur un accord signé le 9 décembre par toutes les parties à l’exception de la CGT.
Une partie de cet accord a trouvé une déclinaison dans la loi via la proposition de loi déposée par plusieurs député·es dont Charlotte Lecocq le 23 décembre 2020. Après discussion au parlement, la loi a été adoptée le 23 juillet 2021 et publiée au journal officiel le 2 août 2021.
Pour l’essentiel la loi entre en vigueur le 31 mars 2022 mais plusieurs décrets d’application doivent encore être publiés. Continuer la lecture de « Une loi pour renforcer la prévention en santé au travail ou invisibiliser les risques professionnels ? »

Du mépris managérial

Journée du 22 juin, plaidoiries des parties civiles vue par Romain Pudal, sociologue.


La journée du 22 juin était consacrée aux plaidoiries des parties civiles. Se sont donc succédées les avocates exposant chacune (je n’ai assisté qu’à des plaidoiries d’avocates en l’occurrence) avec un angle d’attaque spécifique et en fonction des parties civiles représentées son analyse du dossier France Télécom et demandant in fine et sans le moindre doute possible, la confirmation en appel de la première condamnation. Au-delà de l’émotion qui parcourt régulièrement la salle à l’écoute des souffrances endurées, face aux familles, collègues ou ami-e-s endeuillé-e-s et plus encore que l’argumentation juridique, rigoureuse, documentée, implacable, ce qui m’a frappé, c’est la récurrence des mêmes questions… des questions qui hantent la salle, les couloirs, les conversations et probablement les consciences et les mémoires. (Jusqu’où) savaient-ils ce qu’ils faisaient ? L’ont-ils fait sciemment ou non ? Comment ont-ils pu ignorer les multiples alertes ? Comment ont-ils pu ne pas entendre et ne pas voir ? En sociologue, on s’intéresse souvent aux conditions de possibilité de tel ou tel phénomène et c’est donc ainsi que je vais tenter de proposer des pistes d’interprétation. Continuer la lecture de « Du mépris managérial »

Bonhomie monstre.

Audience vue par Barthélémy Bette, sociologue et auteur de fiction, écrit actuellement une thèse sur des pratiques artistiques se mettant en relation avec les mondes du travail.


Aujourd’hui ce sont les avocats des parties civiles qui vont s’exprimer. Elles vont à nouveau décrire dans les grandes lignes les agissements des dirigeants de France Télécom. Une sorte de synthèse du premier procès. Maître Sylvie Topaloff, la première à intervenir, exprimera la lassitude qu’il y a à répéter les mêmes choses depuis treize ans face à tant de déni – de dénégation bien consciente précisera ensuite Maître Frédéric Benoist. Comme s’il fallait répéter à l’infini ce ce qu’ils n’accepteront jamais d’entendre. Une surdité à rendre fou, au point que les victimes, les familles des suicidés, n’attendent plus rien des prévenus, alors que c’est généralement le cas même dans les affaires les plus sordides, qui concernent des personnalités dont on peut légitimement désespérer. Tout au plus l’un des mis en cause – Nathalie Boulanger pour ne pas la citer – a su reconnaître une « responsabilité morale », rien de plus. Surtout pas de responsabilité juridique, uniquement l’expression d’une bonne conscience sur le mode de l’apologétique chrétienne. Malgré tout ce jour-là plusieurs plaidoiries vont lui savoir gré de cette timide repentance, comme s’il fallait se raccrocher à quelques traces d’humanité pour ne pas vaciller. Insistance qui révèle en creux l’indécence de la défense des autres prévenus… Continuer la lecture de « Bonhomie monstre. »