Après les nuages…

L’actualité de ces derniers mois est riche en matière de santé et de conditions de travail. Il y a bien entendu le terrible accident industriel de l’usine Lubrizol à Rouen, l’une des nombreuses possessions de Waren Buffet, l’une des plus grandes fortunes au monde. Pour l’heure les causes du sinistre restent inconnues mais ses conséquences auraient pu être encore plus dramatiques pour deux raisons. La première c’est que l’usine se trouve dans un secteur très urbanisé. La seconde, c’est que l’environnement proche de cette usine est lui aussi constitué de sites à risques (classés SEVESO ou non) et qu’il y aurait pu avoir un « effet domino ».

De nombreuses interrogations et inquiétudes demeurent sur les conséquences pour l’environnement et pour la santé des nombreuses populations et territoires exposés aux émanations de cet incendie. On peut aussi s’interroger sur un système qui permet l’autoévaluation des risques par les industriels, la faiblesse des corps de contrôle et les délais de communication des autorités sur à la fois la toxicité et les mesures à prendre.

Si l’on rapproche cette affaire de ce qui s’est passé après l’incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris avec la négation si ce n’est la dissimulation de la contamination au plomb au cœur de Paris. Sans la pression des associations et syndicats relayés par quelques médias indépendants, il ne se serait rien passé. Et rien n’est encore réglé : ni le confinement du chantier afin d’éviter la dissémination par ré-envol des poussières de plomb qui contaminent tout l’édifice, ni une cartographie rigoureuse de la pollution au plomb, actualisée à intervalle régulier, les résultats devant être rendus publics, n’ont été mis en place.

… le déni

C’est toujours ce même déni qui est opposé à celles et ceux qui entendent ne pas laisser la santé des salarié·es ou des riverains être mise en danger. Toutes les armes sont bonnes à prendre pour mener ces luttes essentielles, y compris celles du droit.

Dans ce cadre, il y a eu une victoire très importante le mercredi 11 septembre devant la Cour de Cassation. Elle sera un magnifique point d’appui pour la défense de tous les salariés exposés à des produits toxiques. C’est d’abord la reconnaissance du préjudice d’anxiété pour les mineurs contre les Charbonnages de France, combat mené depuis 6 ans et à travers eux de tous les salariés qui « justifient d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave ». Ainsi en a jugé la Cour de Cassation. Et donc désormais toutes les travailleuses et tous les travailleurs exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques peuvent demander la réparation de leur préjudice d’anxiété. C’est une nouvelle avancée significative pour tous les salarié·es exposé·es à des substances CMR pouvant être à l’origine d’une pathologie grave qui disposent désormais d’un outil pour contraindre leur employeur à améliorer leurs conditions de travail et faire de la prévention.

Le procès France Télécom s’est achevé le 11 juillet après 46 audiences marquées tour à tour par l’exemplarité de la présidente du tribunal, Cécile Louis-Loyant, l’émotion des témoins et l’indécence des principaux prévenus – jusqu’à la fin, l’ancien PDG Didier Lombard n’aura pas eu un seul mot d’excuse pour les victimes. Le jugement sera rendu le 20 décembre prochain à 10 heures. « C’est un lourd fardeau que le tribunal emporte avec lui. Il espère que ces instants de partage des douleurs les auront rendues plus supportables », a conclu la présidente.

Les procureurs ont requis une condamnation pénale d’un an ferme et 15 000 euros d’amende contre les trois accusés principaux et 75 000 euros contre la société France Télécom. C’est le maximum de ce qui était possible dans le cadre retenu par les juges d’instruction qui ont estimé que les suicides, qu’ils soient volontaires ou involontaires, ne peuvent pas avoir une cause unique. On peut évidemment discuter ce choix sur le fond et en être très frustrés, mais ce sont des règles de droit qui fixent le périmètre des homicides. Mais, de toute façon, quelle condamnation pourrait être réellement à la hauteur ? Si on regarde ce qui s’est passé, impossible de trouver une peine qui puisse satisfaire les victimes. Comme l’a dit très justement l’un de nos avocats, Jean-Paul Teissonnière, ce qui est essentiel dans le jugement c’est qu’il fixe un interdit qui aura une valeur pour tous ceux et toutes celles qui étaient dans l’entreprise à cette époque, ceux et celles qui en sont partis contraints et forcés, et celles et ceux dont un membre de la famille a commis un acte irréparable. Le jugement devra dire avec force que ce qui s’est passé était contraire à la loi, et pas juste un malheureux hasard, des ordres qui ont été mal transmis, ou mal compris, ou des gens qui ont dérivé ici ou là. Ce message-là s’adresse à tout le monde dans la société.

Par l’action collective, par nos lutes, par l’articulation de celles-ci avec des batailles juridiques, nous pouvons ne plus perdre nos vies à la gagner et, enfin, chasser les nuages..