Le 22 mai dernier s’est enfin tenu le procès de la SNCF suite à l’accident du travail mortel dont a été victime un cheminot en octobre 2010 au sein de l’atelier de maintenance de Paris-Ivry (Technicentre Paris Rive Gauche).
Ce matin du 26 octobre 2010, Fabrice, un jeune mécanicien de 26 ans a été retrouvé inanimé dans le compartiment central de la locomotive dans lequel il effectuait une opération de maintenance. Les services de secours n’ont pu le ramener à la vie et ont conclu à une électrocution du cheminot, sans doute causé par le contact avec une pièce nue sous tension de 1500 V présente dans les armoires électriques de la locomotive.
Mais que s’est-il passé ? Passé le choc de l’accident, le CHSCT manifeste très vite son intention de déclencher une enquête afin de comprendre l’ensemble des facteurs et des circonstances qui ont pu permettre la réalisation de l’accident. L’inspection du travail, présente sur les lieux de l’accident, décide également de mener une enquête.
La première démarche du CHSCT a été de saisir un expert agréé comme le permettent les dispositions de l’article L 4614-12 du Code du travail car les premières constatations mettent en exergue la complexité technique de l’accident. Le cabinet choisi, agréé par le Ministère du travail n’a pu commencer sa mission que plusieurs mois après l’accident, la locomotive ayant été interdite d’accès par les services de police, pour des raisons assez obscures. Après plusieurs mois d’enquête, les conclusions de l’expert permettent de pointer la responsabilité de la SNCF dans cet accident.
Le rapport d’expertise explique en effet comment l’exigence de polyvalence a eu pour conséquence de confier à des mécaniciens, qui ne sont pas électriciens de formation, des opérations de maintenance sur un certain nombre d’appareillages électriques. Or, dit l’expert, la formation des cheminots à ces nouvelles tâches a été très lacunaire ( 8 h de formation seulement ) sans que la SNCF ne puisse justifier ni de la teneur de cette formation ni même de sa réalisation, l’attestation de formation normalement obligatoire ayant été produite après la mort de Fabrice ! C’est donc bien l’organisation du travail qui est en cause dans cet accident.
En outre, la procédure d’ouverture et de fermeture des armoires électriques, normalement destinée à protéger les agents lors de leurs interventions à l’intérieur de ces armoires a été jugée défaillante par l’expert, une simple clé supplémentaire suffisant à déjouer le système de sécurité. Peu formé et avec une maigre expérience, travaillant de surcroit seul, l’expert explique que c’est sans doute la méconnaissance du risque encouru qui a conduit Fabrice à ouvrir des armoires électriques sous tension. Si on ne connaîtra jamais la raison qui a conduit l’agent à ouvrir ces armoires ( un oubli du risque ? rechercher une lampe oubliée ? effectuer des essais auditifs et visuels?), si Fabrice avait été correctement formé, il serait sans doute toujours en vie aujourd’hui…
Confrontée à ces carences et défaillances, la SNCF n’a eu de cesse de faire reposer sur l’agent l’entière responsabilité de l’accident pendant toute la durée de l’enquête, fustigeant toute personne (le CHSCT, l’inspection du travail et l’expert) qui cherchaient à comprendre l’enchaînement des circonstances. Pour la SNCF, c’est très simple, si Fabrice est mort, c’est parce qu’il a enfreint une règle de sécurité « en toute connaissance de cause » et même « si c’est bien malheureux, ce n’est certainement pas la faute de l’entreprise » !
C’est d’ailleurs le discours que ses avocats n’ont cessé de marteler à l’audience, sans aucune honte même en la présence du père de la victime. Le travail minutieux d’enquête mené par le CHSCT et les conclusions de l’expertise ont en effet conduit l’inspection du travail à rédiger un rapport et saisir le Procureur de la République, considérant qu’il pouvait être reproché à la SNCF un délit d’homicide involontaire. Le Procureur a décidé de donner suite à cette procédure et a saisi le tribunal correctionnel.
Le CHSCT, la CGT et SUD se sont constituées parties civiles et ont pu défendre Fabrice et pointer les responsabilités de la SNCF lors de l’audience. Une bataille juridique s’est alors engagée autour des obligations de l’employeur et de la faute de l’agent. La représentante du Parquet a requis une amende de 80 000 euros à l’encontre de l’entreprise, relevant sa faute dans plusieurs domaines, notamment le défaut d’évaluation des risques et l’absence de respect des principes généraux de prévention ayant conduit la SNCF à confier des tâches d’ordre électrique à un mécanicien alors que sa formation était insuffisante.
Nous saurons le 3 juillet si la responsabilité de la SNCF sera retenue. Le temps du déni de l’entreprise face à ses responsabilités doit cesser et il est plus que temps pour celle-ci d’abandonner les organisations du travail qui peuvent conduire à la mort d’un cheminot de 26 ans.