GPC ou la ventriloquie du manadjère

La chronique du 25 mai vue par Vanessa Morisset, historienne d’art, une discipline qu’elle pratique en lien avec les sciences sociales, la philosophie, la littérature, dans le but d’analyser et déconstruire les représentations du pouvoir.
Par ailleurs, elle écrit toutes sortes de choses, dans la presse, sur internet, et au sein du Collectif Troptôttroptard.
En 2021-22, elle participe au « Groupe de travail de groupe », un groupe de réflexions et recherches autour du mot « travail » à l’initiative des Laboratoires d’Aubervilliers.


GPC par Claire Robert

Ce mercredi matin 25 mai, la question examinée par la cour d’appel est celle de la « verticalisation des fonctions », expression qui désigne la réorganisation des méthodes de travail, décidée en 2006 par la direction de France télécom de façon unilatérale [l’adjectif est employé pas moins de 13 fois dans l’ordonnance de renvoi !], en remplacement d’un précédent dispositif issu d’accords en 2003.
L’audience vise ainsi à établir comment cette réorganisation s’est traduite en harcèlement moral et en isolement des personnes en détresse au sein de l’entreprise sans tenir compte de signaux d’alerte. Continuer la lecture de « GPC ou la ventriloquie du manadjère »

Ce qui est arrivé peut recommencer

Audience du 20 mai, vue par Michel Miné, professeur du Conservatoire national des Arts et Métiers (Chaire Droit du travail et droits de la personne), Lise/Cnam/Cnrs, ancien inspecteur du travail. Derniers ouvrages parus, aux éditions Eyrolles Droit du travail en pratique, aux éditions Dalloz-Sirey Droit du travail et aux éditions Larcier Droit des discriminations dans l’emploi et le travail.


Dessin de Ornella Guidara

Vendredi 20 mai 2022. Le temps à l’extérieur est orageux, avec des averses rafraîchissantes, après la journée étouffante de la veille. Par les fenêtres ouvertes de la plus magnifique salle de la Cour d’appel du Palais, riche de boiseries et de peintures, la pluie fait parfois entendre sa musique. L’audience se déroule à partir de 9 h jusqu’au milieu de l’après-midi, avec une suspension de séance. Aujourd’hui, des parties civiles sont auditionnées. Continuer la lecture de « Ce qui est arrivé peut recommencer »

Quand la souffrance s’affiche

La chronique du 20 mai vue par Danièle Linhart, Sociologue, Directrice de recherches au CNRS, travaillant sur l’évolution du travail et de l’emploi, auteure, entre autres, de La comédie humaine du travail. De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale, Érès, 2015.


Dessin de Claire Robert

La salle est impressionnante avec ses ornements dorés et ses peintures religieuses. Elle n’est pas bondée, nous attendons l’entrée de la Cour. Ce lieu vénérable de l’Île de la Cité ne reproduit pas l’impression que l’on pouvait avoir lors du premier procès au Palais de justice de la Porte de Clichy, un immense bâtiment tout en vitres, à la modernité vertigineuse, aux salles neutres. Ici, on a le sentiment d’un confinement solennel, marqué par une Histoire glaçante, regorgeant de terribles décisions et d’augustes secrets. Continuer la lecture de « Quand la souffrance s’affiche »

La mise en cellule… d’écoutes

L’audience du 19 mai vue par Guy Friedmann, salarié de FT en agence commerciale au temps des premières réformes des années 90 qu’il a raconté dans Le mirage de la compétence (Syllepse, 2000). Devenu sociologue du travail, il a participé à l’Observatoire du stress et des mobilités forcées. Il est membre d’ASD-Pro, association en soutien aux victimes de violence au travail.


Tandis que le procès en première instance se tenait en mai 2019 au nouveau Tribunal Judiciaire installé à Porte de Clichy, avec ses accès mécaniques, ses dimensions aéroportuaires, ses salles immenses, sa modernité livide et impersonnelle, pas loin d’un univers à la Tati, retournement de situation, la suite de ce procès en appel en mai 2022 se déroule dans le prestigieux Palais parisien, mélange de l’ancienne demeure royale et de celui que l’on appelait le « Palais des Appels ». Désormais, c’est avec les boiseries et les envoûtantes tapisseries que le défilé solennel des robes noires dans les couloirs du Palais vous rappelle le sacre de l’éloquence, la force de ceux qui jugent ; les regards magistraux et les allures distinctives vous attirent dans l’esprit des lieux, et ne tremblez pas à la barre ! Continuer la lecture de « La mise en cellule… d’écoutes »

Un homme en colère

La chronique du 19 mai vue par Pascal Marichalar, sociologue et historien au CNRS. Il est notamment l’auteur de Médecin du travail, médecin du patron ? L’indépendance médicale en question (2014), et Qui a tué les verriers de Givors ? Une enquête de sciences sociales (2017).


Dessin de Claire Robert

Louis-Pierre Wenès, 73 ans, les cheveux blancs méticuleusement ramenés vers l’arrière, est l’ancien numéro deux de la société France Télécom. A la barre, il revendique d’être volontiers « brut de décoffrage » et de se laisser facilement emporter par la colère : « je m’arrête là, ou je vais devenir grossier », dit-il plusieurs fois.

Pourtant, à une époque où le virilisme agressif n’est plus censé avoir la cote, dans une cour d’appel où tout rappelle la déférence qu’on se doit de montrer envers la justice, ce comportement « passe » sans remontrances excessives, comme une caractéristique pittoresque, pagnolesque, du personnage. Lorsqu’on a assisté à d’autres procès, on se rappelle que tous les prévenus ne sont pas logés à la même enseigne. Continuer la lecture de « Un homme en colère »

Qui est responsable ? Accusation, défense et personnification du management capitaliste

L’audience du mercredi 18 mai (après-midi) vue par Alexis Cukier, maître de conférences en philosophie à l’Université de Poitiers, co-animateur des Ateliers Travail et Démocratie. Il est l’auteur, notamment, de Le travail démocratique, Puf, 2018.


Nous entrons dans la salle d’audience. Au-dessus de la présidente du siège, Pascaline Chamboncelle-Saligue, un écran blanc affiche la projection d’un tableau indiquant une partie de la chronologie des faits en cause – la partie la plus visible met côte à côte les noms et brèves présentations des victimes, pour l’essentiel les salarié.e.s de France Télécom qui se sont suicidé.e.s ou ont tenté de se suicider, dont il a été question le matin. Cet après-midi porte sur les alertes, il s’agit de répondre à ces questions : que savaient les prévenus ? Qu’ont-ils et elles contribué à mettre en œuvre pour répondre à ces alertes ? Et de quoi précisément sont-ils et elles responsables ? Continuer la lecture de « Qui est responsable ? Accusation, défense et personnification du management capitaliste »

Ne leur pardonnez pas, ils savent ce qu’ils font

L’audience du mercredi 18 mai vue par Fabrice Larcade & Mélissa Viguié, magasinièr-es à la Bibliothèque nationale de France. Respectivement membre et secrétaire nationale de Sud Culture Solidaires. Membres de la commission juridique de Sud Culture Solidaires et de la commission conditions de travail de Solidaires.


« Je ne nie pas qu’il y ait eu un certain nombre d’événements graves et malheureux. Ce que j’affirme, c’est qu’il n’y a pas eu de crise de suicides chez France Télécom. »
Louis-Pierre Wenès, ex-Directeur Général-adjoint sur les opérations France

« Ils ne pouvaient pas ne pas savoir… »

C’est par ces mots que s’achève cette quatrième journée d’audience du procès en appel des ex-dirigeant-es1 de France Télécom/Orange, ces mots d’une ancienne employée, et déléguée syndicale élue à l’instance représentative nationale, qui témoigne à la barre des tentatives désespérées d’interpeller ces dirigeant-es sur le mal-être profond et généralisé des employé-es. Malgré les tentatives de déstabilisation des avocates de la défense, elle relate posément les alertes répétées des différentes organisations syndicales entre 2007 et 2009 sur la souffrance engendrée par les restructurations incessantes et la réduction du personnel. Continuer la lecture de « Ne leur pardonnez pas, ils savent ce qu’ils font »

J’ai un peu peur

L’audience du vendredi 13 mai vue par Rachel Saada, avocate en droit du travail et protection sociale. Son cabinet, L’Atelier des droits, a défendu la cause des familles des salarié·es du Technocentre de Renault qui se sont suicidés entre 2006 et 2007.


Dessin de Claire Robert

Vendredi 13, il fait beau, très beau mais pas encore chaud.

L’huissière est installée à une table devant la première chambre de la cour pour pointer les présents.

C’est la plus belle et la plus grande salle du « vieux palais ». Tandis que les peintures, les lustres, les fauteuils et les boiseries sont du 19ème siècle, les écrans et rétro-projecteur accrochés il y a peu ont trainé la salle jusqu’au 21ème siècle.

Ici on arrive presque à croire que la justice va bien et qu’elle a les moyens, qu’on respecte les gens, qu’on prend le temps de les écouter et peut être de les comprendre.

Comme les prévenus ont fait appel, on recommence tout comme si les premiers juges n’avaient rien fait du tout, comme si le jugement de première instance et ses 353 pages n’existait pas, comme si la société Orange ne l’avait pas accepté.

Oui, on refait tout parce que les premiers juges ont pu se tromper, parce que c’est ça le 2ème degré de juridiction. Et il ne faut pas le déplorer. Continuer la lecture de « J’ai un peu peur »

Patrons voyous ou politique d’entreprise ?

Du 11 mai au 1er juillet 2022 se tient « le procès de France Télécom » en appel. Cette deuxième audience du 12 mai est vue par Louis-Marie Barnier, sociologue du travail et représentant CGT au Conseil National d’Orientation des Conditions de Travail. Il est co-auteur avec Hélène Adam de La santé n’a pas de prix, voyage au cœur des CHSCT, Syllepse, 2013.


Dessin de Claire Robert

La juge de la cour d’appel avait décidé d’axer cette seconde journée sur l’étude de la politique sociale de l’entreprise, avec pour fil conducteur cette question qui sera précisée au cours de la journée : « Est-ce que vous avez fait le maximum en matière de dialogue social, ou bien avez-vous placé le personnel en mal de prévention ? » Le malaise tout au long de la journée provient d’un sentiment : juge-t-on l’entreprise ou bien quelques dirigeants qui auraient dépassé les limites ? Continuer la lecture de « Patrons voyous ou politique d’entreprise ? »